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28 janvier 2015
Natalie Gandais

Ghettos ? Apartheid ?

Cette fois c’est dit : après les attentats contre Charlie et contre l’Hyper Cacher, le Premier ministre met des mots sur la situation que vivent les habitants de certaines de nos cités de banlieue. Il parle de « ghettos », d’ « apartheid territorial, social et ethnique », à l’assentiment général de la population.

Pendant la campagne des élections municipales, j’avais bien dénoncé ces situations. Que n’avais-je entendu de la part des partisans de Mme Cordillot ! Sans chercher à m’écouter, ils citaient mon interview comme une horreur, indigne d’une candidate !

Qu’avais je dit ? Longtemps à Villejuif, il y a eu de la mixité sociale. Et progressivement, à cause de certaines politiques d’urbanisme, la mixité sociale s’est effritée. Et nous avons maintenant à Villejuif des cités HLM qui sont des ghettos, des écoles où il n’y a plus de mixité sociale, où les petits enfants sont noirs, jaunes, beiges, mais pas blancs, et ça, nous on pense que c’est un échec, et qu’on peut changer ça.

En disant cela, je me faisais l’écho d’une plainte générale de nos candidates et sympathisants, en particulier des Lozaits et de Lamartine. Depuis que je suis élue à l’urbanisme et au logement, et vice-présidente de l’OPH, de plus en plus de confidences me permettent d’approfondir cette réflexion. La déclaration de Manuel Valls a aussi poussé les sociologues, qui disaient la même chose depuis des années, à réagir : voyez le dossier du Monde, très intéressant.

D’abord il faut bien comprendre que le recul de la mixité sociale est un effet du creusement des inégalités à l’échelle du monde et du pays. Les communes pauvres de l’Ile de France le deviennent de plus en plus, les communes riches le sont de plus en plus. Le prix du terrain et du logement augmente dans ces communes riches, chassant les plus pauvres vers les communes qui sont déjà pauvres. Et ceux qui habitent en HLM ne peuvent plus en sortir : on y restait 8 ans en moyenne en 1984, on y reste désormais 13 ans, faute de pouvoir acheter ailleurs.

Nous cherchons à inverser cette tendance depuis Villejuif, nous pouvons nous battre pour la ralentir, en nous en tenant strictement à la Loi ALUR de Duflot : 25 % de logement sociaux dans TOUTES les communes. Dans les nouvelles constructions, nous ne dépasserons plus notre part. Mais il faut aussi que ceux qui souhaitent quitter leur HLM ne soient pas obligés de déménager vers l’Essonne, il nous faut offrir un parcours résidentiel aux locataires des HLM de Villejuif avec des logement aidés, des loyers intermédiaires, de l’accession sociale à la propriété : nous en prévoyons 15% dans les nouveaux logements. D’autre part, la délimitation des QPV (les quartiers prioritaires politique de la ville) va permettre, dans le périmètre de 300 m autour de ces secteurs, de proposer des logements en accession à prix maîtrisé, puisque les constructeurs pourront bénéficier de la TVA à taux réduit.

Ensuite il faut comprendre les problèmes que pose la ségrégation sociale, la concentration des plus pauvres dans certains quartiers. En France, les plus pauvres sont les « derniers arrivés ». Les Italiens, les Portugais, qui sont là depuis longtemps, sont en moyenne plus riches que les Maghrébins, eux mêmes plus riches que ceux qui arrivent d’Afrique de l’Ouest ou d’Afrique centrale et qui se concentrent dans les cités HLM. La ségrégation sociale devient donc, comme le remarque M. Valls une ségrégation ethnique : c’est ce que je voulais dire en parlant des couleurs.

Parler des couleurs ne pose d’ailleurs de problème qu’aux racistes. Le vrai problème que cela désigne, c’est la langue. Des quartiers à forte proportion de pauvres et d’immigrés récents, ce sont des quartiers où beaucoup d’enfants n’ont pas le français pour langue maternelle : ils ne peuvent pas s’entraider les uns les autres pour parler la seule langue qui leur permettra d’accéder à de bonnes études en France. En plus les difficultés sociales sont telles qu’elles font éclater les familles. 31% de familles monoparentales dans notre parc de l’OPH : une maman seule avec ses enfants dans un logement sur trois ! Du coup, ces écoles deviennent « difficiles » .

Certes, le dévouement des institutrices permet de remédier à cela. De même que le dévouement des nombreux bénévoles de l’aide aux devoirs. Mais beaucoup de parents des « classes moyennes » n’y croient pas, et se débrouillent pour éviter ces écoles, ces collèges, ce lycée où on parle mal le français. Ce qui, de fait, aggrave la situation de ceux qui y restent.

Ceux qui critiquent M. Valls disent c’est un processus complexe que personne n’a voulu, au contraire des ghettos, de l’apartheid, qui sont des décisions politiques d’un État raciste. Mais un sociologue répond qu’à force de refuser de voir le problème, de le chiffrer, à force de décider de ne rien faire pour rétablir la mixité sociale ou ethnique, sous prétexte que « tous les citoyens sont égaux » (ce qui n’est pas vrai dans la réalité !) c’est comme si on décidait de la renforcer, cette ségrégation :« Notre système produit des ségrégations en se pensant égalitaire. »

J’en suis témoin quotidiennement, au fil des attributions de logements. Dans certains immeubles, on a beau chercher à « ré-équilibrer les peuplements » en introduisant des familles plus aisées, des « jeunes actifs décohabitants », le plus souvent on se heurte à des refus : je ne veux pas habiter dans cette cité où l’insécurité est notoire, où on ne peut pas rentrer chez soi sans enjamber des squatteurs vautrés dans le hall. Alors, « on » (la ville, le bailleur, la préfecture) finit par proposer ces logements aux plus démunis, à ceux qui ne peuvent pas se permettre de refuser. Voilà, aussi, comment se sont fait les ghettos.

J’ai bien entendu les anciens Villejuifois. Ils me disent : Autrefois ce n’était pas comme ça. Celles et ceux qui, nés au Massif Central, ont vu pousser les Lozaits, Lamartine, Alexandre Dumas sur les lieux d’anciens bidonvilles, d’anciens vergers, ou du « Passage 60 », celles et ceux qui ont habité ces immeubles dès le début et y vivent encore, me disent : Jusqu’au début des années 2000, l’ancien maire Pierre-Yves Cosnier faisait attention à bien répartir les gens de toutes origines dans chaque quartier. Après, ça a été fini. Bien sûr, on a toujours tendance à idéaliser le passé (« C’était mieux avant ! »)… Mais le message des Villejuifois est clair : « Faites en sorte que nos enfant puissent tous s’intégrer à la République, en fréquentant dès l’école d’autres enfants de toutes les couleurs, Bretons, Vendéens, Magrébins, Asiatiques, Africains… »

Mon père m’en parlait aussi, quelques jours avant sa mort. Gosse d’ouvrier devenu architecte, il a beaucoup construit en banlieue, des foyers de travailleurs migrants, des résidences pour personnes âgées, des petits lotissements. Il aimait bâtir pour les ouvriers. Comme on s’interrogeait sur les causes du basculement, il m’a dit aussi : La drogue, c’est elle qui a tout changé.

***

Villejuif est la seule « ville populaire de banlieue » de la Communauté d’agglomération du Val de Bièvre, selon le classement de l’IAURIF (voir l’agrandissement en logo de cet article, Villjuif est dans le petit pâté bleu ciel avec Ivry-Vitry, le reste de la CAVB dans la zone en gris de mixité sociale :

Villejuif n’est donc pas classée tout en bas « Espace pauvre ». Mais notre ville est elle-même fortement contrastée : deux fois plus d’argent par personne en « Centre ville Ouest » qu’à Lamartine-Lebon :


Source : INSEE dispositif « revenus fiscaux localisés des ménages » (RFLM) - 2011

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