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19 septembre 2019
Alain Lipietz

Un géographe éclaire les votes de mai dernier à Villejuif

Claude Grasland, professeur à l’université Paris 7- Denis Diderot, cartographie et analyse, par quartier, les votes de Villejuif aux européennes.

Nous avions donné immédiatement une analyse du vote de Villejuif (et du Val de Marne). En tête : quasi égalité entre les votes écologistes et macronistes. Loin derrière : PCF , LFI, PS et Génération.s. Effondrement de la droite et en particulier du parti du maire, LR.

Voici l’étude par zones de bureaux de vote, à télécharger :

Ces cartes sont provisoires car C. Grasland travaille sur un fond de carte de bureaux de vote qui a été légèrement modifiée il y a quelques années pour tenir compte des évolutions de population. Il manque par exemple le bureau 34. Mais l’impression générale, par quartier, reste valable à quelques rue près.

Le plus simple à comprendre, ce sont les cartes du début jusqu’à la page 16 : c’est simplement le résultat des votes de chaque parti, reporté sur la carte de la ville. La suite est plus compliquée à comprendre.

1. Les cartes des votes

Tout d’abord voici la carte actuelle réelle des bureaux de vote, avec en étiquette le nombre d’électeurs EELV (liste Jadot). Comme on le voit page 3, à l’exemple du bureau 9, ce n’est pas toujours là où la liste EELV est en tête (en %) qu’elle a le plus d’électeurs/trices, car le nombre total de suffrages n’est pas le même d’un bureau à l’autre.

Vous pouvez télécharger ici une image plus nette :

Voyons maintenant les cartes de C. Grasland.

Les pics d’abstention sont au Vercors (bureau 7), au Lozaits (30), et toute la périphérie sud. C’est l’habitat social pauvre, mais PAS FORCEMENT des bastions PCF (liste Brossat). Le PCF n’en a plus que quatre : Lamartine (bureau 15), Hautes-Bruyères (10), Delaune (33) et Eluard (28), où il dépasse les 20% , plus le centre-ville (Cité Thorez et Place de la Fontaine, bureaux 1 et 3) entre 15 et 20%.

Les pics à plus de 20% de la liste EELV (Jadot) sont : le nord (sauf Vercors), en particulier le 8mai/rue de Gentilly (b.9) et les Guipons (b. 24 et 25), et le centre-ouest (b. 4, 2, 31). Tout l’est de la Nationale 7, sauf Eluard, est à plus de 17%.

Bref : les électorats de EELV sont parfaitement complémentaires avec le PCF (et l’abstention) ! Et on s’aperçoit que les quartiers favorables aux écolos sont en gros les mêmes que ceux de LREM (Loiseau) et du PS (Glucksmann). Cette proximité est particulière à Villejuif, on ne la retrouve ni à Paris, ni dans le Val de Marne comme on le verra plus loin. Ceux de LFI (Aubry) sont à peu près les mêmes que ceux du PCF (Brossat).

Le vote de droite LR, le parti du maire, est très faible (5,6% sur Villejuif pour la liste Bellamy). Il ne dépasse les 9% qu’au Lion d’or, bureau 26 (Robespierre), qui fut jadis communiste, mais que l’ancienne équipe municipale a perdu lors de la bataille de la ZAC Aragon… et où un fort vote écologiste a permis, en 2017, au candidat de La France Insoumise de l’emporter sur la candidate LREM au second tour !

2. La typologie des bureaux de vote

Elle est réalisée par « analyse en composantes principales ». C’est une technique datant des années 1960 mais qui inaugure « l’intelligence artificielle » des ordinateurs : la machine classe elle-même les types de quartiers en partant de la façon dont ils votent, et désigne qui (quelle liste) s’y retrouve le mieux. Du coup, on a du mal à « comprendre » ce qu’elle a fait exactement, car elle utilise une notion de distance (la « métrique du chi-2 ») pas très intuitive. C’est à partir de la page 16.

L’idée générale : on répartit les bureaux de vote dans un espace imaginaire, en fonction de ce qu’ils ont voté : les coordonnées de chaque bureau sont les votes aux différentes listes. On obtient ainsi un nuage de points, qui sont les bureaux de vote. Cet espace est à plus de trois dimensions, car il y a plus de 3 listes, mais on va voir comment la machine s’en arrange.

L’ordinateur repère ensuite la plus grande longueur du nuage (l’axe 1) puis sa plus grande largeur (l’axe 2) et ainsi de suite les « épaisseurs » plus faibles. On aplatit (on projette) ensuite le nuage de points sur la coupe principale, le plan qui contient les axes 1 et 2 : c’est la carte « Factor map » page 17 en bas. Elle donne une idée des bureaux de vote qui votent à peu près pareil, ce qu’on appelle des « clusters ». Il y a des bureaux de vote qui semblent à l’écart de leur cluster, parce que ces points sont moins proches sur les axes 1-2 mais très proches sur les axes suivants (disons : « dans l’épaisseur du nuage »).

Ensuite on projette sur la même carte les centres de gravité des votes pour les différentes listes (carte CA Factor Map, page 17 en haut). Ce qui permet de donner un « sens politique » aux clusters. Si le point « Jadot » est au milieu d’un groupe (cluster) de bureaux de vote, cela veut dire que ces bureaux ont particulièrement voté Jadot. Si deux candidats sont proches sur la carte , cela veut dire que les bureaux de vote où l’on vote beaucoup pour l’un votent aussi beaucoup pour l’autre.

Attention ! Il ne s’agit pas d’une proximité politique réelle entre candidats, mais de voir que « tels et tels candidats se disputent tels et tels bureaux de vote ». Dans certains cas un cluster (comme le cluster 1 en gris foncé) ne veut rien dire d’autre que "bureau de vote hétérogène", comme le bureau 7 qui couvre le Vercors (vote PCF) et d’autres résidences qui votent LREM.

On voit tout de suite que Jadot (EELV), Glucksmann (PS) et Loiseau (LREM) se disputent le cluster 2 ( en rouge sur la carte des proximités de vote de la page 17 et sur la carte géographique de la page 18 ). Ce que nous avions déjà repéré en lisant les cartes des votes, et qui est logique : ces trois candidats se disputent à Villejuif les dépouilles de l’ancien vote PS. Comme nous le verrons en ce qui concerne LREM, ce n’est pas le cas général en Val-de-Marne (ni en France).

La « CA Factor map » donne un sens politique plus général, quand on la regarde dans son ensemble. L’axe 1 oppose, à gauche de la carte, les quartiers pro-européens (le trio ci-dessus + Bellamy) aux quartiers plus eurosceptiques, à droite de la carte : vote Brossat (PCF) et dans une moindre mesure Asselineau, Bardella (RN), Aubry (LFI) … et Thouy (animaux). On sait que le vote pro-européen caractérise plutôt les électeurs « ouverts aux changements », assez bien insérés dans la société et qui ont conscience qu’ils peuvent participer à sa transformation mais que ça se joue dorénavant à l’échelle européenne, le vote anti-européen un vote plus désespéré et qui perçoit l’extérieur comme une menace à laquelle on ne sait pas répondre.

L’axe 2 oppose : en bas les plus « à gauche » (Jadot et Brossat), en haut les plus « à droite » (Dupont-Aignan, Bardella, Bellamy). Jadot et Brossat représentent évidemment deux gauches différentes : le PCF celle du 20e siècle, polarisée sur la question sociale, les écolos celle du 21e siècle, qui ajoute la dimension « environnement » à la question sociale (« Changez le système, pas le climat ! ». Mais tous les deux apparaissent, à égalité, comme les plus « pro-changement » aux yeux de l’électorat de Villejuif.

On remarque que les bureaux de votes Hamon sont « au centre » (ce qui veut dire que les votes Hamon se répartissent un peu partout), que le vote Aubry (LFI) n’est pas dans les bureaux de vote très « progressistes » ni très « eurosceptiques » : c’est un vote moins typé géographiquement que les pics de Jadot ou ceux de Brossat. En fait, sur l’axe 1, Aubry apparaît à mi-distance de Jadot et Brossat et, sur l’axe 2, dans des bureaux de vote plus « centristes »… d’où sans doute l’embarras de LFI pour les prochaines municipales.

Cette position "plus centriste que les communistes ou les écolos" de LFI sur l’axe 2 peut étonner : mais encore une fois il s’agit de comparer ce que votent les gens dans tel ou tel bureau, pas de la comparaison des programmes ! A Villejuif, voter PCF, c’est la nostalgie de la promesse d’un monde alternatif (l’Union soviétique), voter EELV c’est l’espoir d’un monde différent, plus "vert" (même si beaucoup ne sauraient pas plus définir le vert que le communisme : manger autre chose, travailler, circuler "autrement" ?), voter LFI c’est simplement voter à gauche du PS et plus eurosceptique ("un référendum anti-Macron +Sortir des traités sans sortir de l’UE").

On observe aussi que les bureaux qui votent un peu « autres écolos » (Bourg et Thuy ) ne sont pas très proches de ceux de EELV. Ce sont des « votes écolos dans des quartiers peu écolos », qu’ils soient hostiles à certaines prises de position de EELV (trop pro-européen, trop pro-immigrés, trop pro-mariage pour tous, ou pas assez « amis des bêtes » pour des foyers où chiens et chats sont la seule compagnie).

Le Val-de-Marne et le cas de La République En Marche

C. Grasland a fait le même exercice à partir de la totalité des bureaux de vote du Val de Marne. Ce département se décompose schématiquement en trois zones :

- l’ancienne « ceinture rouge » virant au Vert, tout autour de Paris, avec ses anciens bastions communistes où EELV arrive en tête (Arcueil qui a déjà un maire Vert, Gentilly, Ivry…)

- les banlieues plus lointaines et plus pauvres, où le RN arrive en tête,

- les « belles banlieues », où LREM arrive en tête.

Voici ce que donne l’analyse en composantes principales, où C. Grasland superpose les points représentant les villes (en rouge) et les points représentant les listes (en bleu), avec en dessous un classement selon une autre technique mathématique, la « classification hiérarchique » :

L’analyse en composantes principales montre à peu près la même carte des votes qu’à Villejuif. Villejuif (« Villej ») se trouve dans la première zone ( bien que, à un chouïa près, LREM y ait dépassé le vote EELV, mais pas le vote écolo total) : en bas à droite entre Gentilly et Arcueil, dans un triangle avec Ivry, Fontenay et Champigny.

Mais sur l’ensemble des votes (en bleu), il y a une grosse différence : la liste LREM (Loiseau) s’écarte des points Glucksmann et Jadot et se rapproche de la droite classique, Bellamy (LR) et Lagarde (UDI). Et le vote Jadot apparait, sur le Val de Marne, un peu moins « de gauche, pro-changement » que Brossat (en bas sur la carte), alors qu’il sont au même niveau à Villejuif, tandis que le vote LFI se rapproche du paquet Bardella-Asselineau.

Comment comprendre cela ? On se rapproche de la situation sur l’ensemble de la France, dont le Val de Marne est un modèle réduit, alors que Villejuif (comme le reste de la "banlieue rouge") n’est pas très représentative.

A l’échelle nationale, le vote Macron avait siphonné le vote PS en 2017 (les classes moyennes salariées, la petite bourgeoisie intellectuelle de centre gauche, les « bobos »). En 2019, après deux ans de politiques anti-sociale et anti-écolo de E. Macron et E. Philippe, les ex-PS refluent à gauche, mais vers EELV. En revanche, la bourgeoisie traditionnelle, les « bourgeois-non-bohême » qui votaient LR ou UDI sont séduits par le vote LREM. 

La carte du Val de Marne, qui inclut les « belles banlieues » (Le Perreux, Charenton, Joinville, Nogent…) montre le poids de ce vote « bonobo » dans LREM. Mais il est très minoritaire à Villejuif. De même, le vote eurosceptique reste fort dans des banlieues où la population est pauvre, où le RN est en tête, et la gauche est représentée par le PCF ou LFI (Orly, Valenton). Enfin le vote EELV est plus souvent, à Villejuif, le fait d’anciens électeurs "très à gauche" (critique même du PCF sur la question de l’immigration, de la transparence, etc) alors qu’ailleurs en Val de Marne il vient plus souvent d’anciens électeurs PS ayant transité par LREM, et dégoutés de l’un et de l’autre.

L’analyse hiérarchique, en bas de la page, montre le même phénomène. Elle classe les bureaux de vote par la proximité de leurs votes. Ces bureaux se répartissent en trois classes principales. La première ne contient plus que ceux où dominent EELV et le PS, la seconde LREM avec LR et l’UDI, la troisième tous les autres (encore une fois, ce n’est pas une proximité entre les listes mais entre les bureaux de vote !), le vote PCF étant nettement à part.

Le point essentiel est que le vote LREM à Villejuif n’est pas le même que le vote LREM dans les beaux quartiers de Paris ou les belles banlieues du Val de Marne. Il reste un vote de classes moyennes salariées, ne votant plus guère PS mais hésitant entre LREM et EELV. Cet écart qui se creuse entre LREM Villejuif et la politique nationale de Macron-Philippe est sans doute à l’origine du départ de la députée LREM de Villejuif (qui quitte le groupe LREM à l’Assemblée nationale), Albane Gaillot. Gageons que les récentes déclarations de Macron, associant les immigrés à la délinquance, ne vont pas arranger les choses !

Mes conclusions, toutes personnelles…

-  L’unité entre EELV et le PS (plus Génération.s, qui a obtenu une vingtaine de votes un peu partout) pour les municipales couperait l’herbe sous le pied de LREM dans les quartiers que ces trois partis se disputent.

-  Une telle convergence a intérêt à l’unité avec LFI , les animalistes et les votes Bourg, pour pénétrer les quartiers où les écologiste ne sont pas forts.

-  Ce rassemblement, dans une liste citoyenne, serait irrésistible pour la population villejuifoise, qui ne veut plus du maire LR mais ne veut pas voir le retour d’un maire PCF, qui a préféré de peu LREM à LFI en 2017 mais qui en est revenue...

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