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9 mars 2014

Qu’est-ce qu’une politique vraiment sociale du logement ?

par Guy Dreux et Alain Lipietz

Mme Cordillot revendique un objectif de 40% de logements sociaux et accuse les listes concurrentes de vouloir « faire partir les classes populaires ». Or, les habitants des grands ensembles nous disent qu’ils veulent partir car « il y a trop de logements sociaux » ! Alors ?

Dans un tract distribué depuis février, titré « Le Logement pour tous, un droit à défendre », la maire sortante invoque l’appel de l’Abbé Pierre et le retour actuel de la crise du logement. Elle réaffirme son projet de « mobilisation pour construire du logement » (alors qu’elle s’apprête à détruire 12 logements destinés à l’hébergement d’urgence des familles dans l’ancienne Gendarmerie !). Elle fixe un objectif de 40% de logements sociaux à Villejuif contre 38% aujourd’hui. Et pour y parvenir, son projet de ZAC Louis Aragon prévoit 50 % de logements sociaux dans les nouvelles tours. En outre, le PLU que Mme Cordillot a fait adopter en décembre augmente de 60% la surface construite dans le pavillonnaire (ce qui veut dire que ce ne sera plus du pavillonnaire).

Est-ce bien raisonnable ? Est-ce vraiment du « social » ?

Notre position

Certes, il y a en France une crise du logement, certes il faut construire, et construire du logement social. Mais la vraie question qui nous est posée dans ces municipales, c’est : comment participer à cet objectif à Villejuif ?

Nous disons tranquillement : à cette distance de Paris, Villejuif est déjà anormalement dense. Les métros promis ne font que compenser (à peine) le déficit existant de transports en commun. À Villejuif, on peut, sans bétonner les espaces verts, et sans défigurer les quartiers pavillonnaires, accueillir quelques milliers d’habitants supplémentaires. L’objectif de 60 000 habitants semble raisonnable. Mais pas 75 000 comme en rêve la mairie, qui voudrait approcher la densité parisienne, sans les avantages de Paris. De plus, dans l’intérêt de tous et à la demande plus directe des habitants des quartiers d’habitat social, il faut réduire la part de l’habitat social afin de rétablir une vraie mixité sociale dans nos quartiers.

Le gouvernement PS-EELV a décidé de porter de 20 à 25 % la part minimale de logement social dans chaque commune. Il a raison. Ce chiffre n’a pas été choisi au hasard : la moitié des ménages français sont locataires, et il est légitime que la moitié de cette moitié (donc 25 %) ait droit à un loyer social.

Ce chiffre de 25 % s’impose d’abord aux villes « riches », et la loi devra les contraindre à l’assumer. Vouloir leur épargner cet effort en concentrant les plus pauvres dans les quartiers de certaines villes comme Villejuif, c’est jouer les « idiots utiles » au profit des « beaux quartiers ».

Notre objectif, en ce qui concerne les nouveaux logements, sera donc la norme : 25% da logements sociaux. À quoi nous voulons rajouter 10% d’accession sociale à la propriété. Et notre effort de solidarité en matière de logement portera essentiellement sur l’amélioration de la qualité de vie dans les grands ensembles existants.

En effet, dans ces quartiers où sont relégués les plus modestes d’entre nous, le bâtiment se dégrade vite, les ascenseurs tombent en panne, le désespoir s’installe avec la saleté, et avec lui des trafics illicites dont tout le monde souffre. Ce ne sont pas les nouveaux habitants qui dégradent leur quartier, c’est la politique de concentration des difficultés sociales dans ces quartiers qui les dégrade, déstabilise les écoles et compromet l’éducation de leurs enfants.

D’où vient l’erreur de Mme Cordillot et du PCF-PS ?

Sur cette question de la densification et du « bourrage » de la ville en logements sociaux, les projets de Mme Cordillot et de son équipe semblent les plus préoccupants et les plus critiquables. Au-delà de certaines formules plus ou moins convenues sur la « diversification de l’offre de logements », on retiendra l’objectif stratégique d’accroître la population de Villejuif de 15000 habitants supplémentaires, soit 27 % d’augmentation. Et pour ce faire, il est prévu d’engager de manière massive la « production de logements » et, dans ces nouveaux logements, de 50% logements sociaux. La construction de nouvelles tours d’habitation (jusqu’à 41 mètres) est déjà programmée.

Le grand argument avancé pour justifier cette orientation est le manque de logements en Ile-de-France. Ce constat est suffisamment partagé pour ne pas avoir à être discuté ici.

Mais à lui seul il ne peut justifier pareille politique municipale. D’une part, parce que les évolutions du marché de l’immobilier répondent à des logiques qui dépassent bien souvent les compétences d’une municipalité. D’autre part, parce que l’on ne peut isoler cette question des dynamiques économiques et sociales actuelles.

Une des principales caractéristiques de notre société – et singulièrement de l’Ile-de-France – est en effet non seulement l’accroissement des inégalités sociales, mais aussi et surtout l’accroissement de différences considérables entre les territoires. La ségrégation sociale et urbaine est une des caractéristiques majeures de la société actuelle. « Villes riches » et « villes pauvres » se distinguent de plus en plus fortement.

Or, aux dynamiques de « l’entre-soi bourgeois » des villes bourgeoises et des catégories les plus aisées, Mme Cordillot entend opposer simplement un « entre-soi populaire » au risque d’un « entre-soi précaire ». Le communisme municipal de Villejuif qui se veut attaché à une longue tradition de logement populaire, ne prend pas suffisamment en compte les difficultés de vie quotidienne nouvelles et accentuées par le chômage de masse, la précarisation des contrats de travail, la disqualification sociale des jeunes sans formation, les difficultés de trouver des revenus stables… Là réside le principal risque pour notre ville.

Autrement dit, les individus et les ménages précarisées par le néolibéralisme ne sont pas, ne forment plus les « classes populaires » des années 1960. Et les difficultés auxquelles elles sont confrontées aujourd’hui sont plus redoutables encore qu’hier : les questions scolaires en sont un exemple des plus évidents. L’idée d’une « contre-société ouvrière » pouvait à la rigueur avoir un sens dans les années 1960, ou même dans les années 1930 quand André Lurçat présentait déjà des projets de « cité verticale » pour Villejuif : rassembler le plus grand nombre possible de travailleurs censés partager la même condition (l’usine), pour faire une communauté, incarnée par le Parti communiste.
Cela ne suffisait déjà pas, c’est maintenant parfaitement illusoire. La tâche aujourd’hui pour les municipalités est bien plus complexe, précisément parce que les ressorts de la cohésion sociale se sont abimés dans le libéralisme à partir des années 1980, et encore plus dans la crise actuelle.

C’est pourquoi la prochaine équipe municipale devra avoir soin de prendre acte de ces transformations majeures, qui obligent à reconsidérer lucidement les moyens d’agir efficacement dans le sens d’un mieux-vivre réellement partagé. Autrement dit : porter tout l’effort sur l’amélioration de la qualité de vie (confort, sécurité, économies d’énergie et donc de charges) dans les grands ensembles existants de Villejuif, plutôt que d’en construire de nouveaux, qui se dégraderont encore plus vite.

C’est ce qui apparaît le plus clairement dans le projet de Natalie Gandais et de son équipe, soucieuses de porter un regard lucide sur les difficultés actuelles des habitants de Villejuif et d’aborder toutes ces questions dans la perspective plus large de la reconfiguration à venir de la région parisienne. Il est essentiel en effet de ne pas déconnecter la réflexion sur notre ville de son environnement.

Guy Dreux , auteur de La nouvelle école capitaliste
Alain Lipietz, auteur de "La politique du logement social du néo-libéralismer"

Le Vercors, le soir.

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