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23 juin 2017
Alain Lipietz

La France Insoumise mise à nu par ses partenaires même

Albane Gaillot (En Marche) est élue députée de notre circonscription. Elle l’emporte même à Villejuif, alors que, sur le papier, Djamel Arrouche (France Insoumise) devait la devancer. Mais ses réserves de voix, notamment communistes, lui ont fait défaut.

Félicitons d’abord Albane Gaillot pour son élection. Elle jouissait de nombreuses sympathies personnelles à L’Avenir à Villejuif et dans le nord de la ville, où elle est « parent d’élèves ». Dès le premier jour, elle a en outre annoncé qu’elle ne serait pas un godillot d’E. Macron, ce qui est plutôt rare chez les « bébés En Marche ». Nous espérons donc pouvoir travailler avec elle en faveur de la ville, dont elle connaît les difficultés : pauvreté largement répandue, fort endettement municipal du fait notamment des emprunts toxiques, faible mixité sociale dans les écoles, espaces verts menacés par la Sadev…

Reste que le « candidat de la raison » pour notre association, dont le sous-titre est Écologie, Démocratie, Solidarité, était plutôt Djamel Arrouche, le candidat de la France Insoumise. Les critiques de beaucoup d’entre nous à l’égard de JL Mélenchon (le « plan B »…) n’étaient plus un enjeu, et nous avons publié un entretien avec D. Arrouche.

Le mystère Villejuif

Albane Gaillot l’emporte logiquement à Cachan, ville dont le maire et député sortant, Jean-Yves le Bouillonnec, socialiste, ne cachait pas ses sympathies pour E. Macron et son hostilité pour B. Hamon. Il a sans doute joué un rôle dans le refus d’une candidature unitaire PS-EELV, refus qui a entrainé la chute de sa « dauphine » Hélène de Comarmond (voir notre analyse du premier tour ici).

Djamel Arrouche ne l’emporte qu’à Arcueil, grâce au poids de EELV, dont l’ancien maire, Daniel Breuiller, suppléant de la candidate verte du premier tour, qui s’était engagé pour lui.

Il aurait fallu que D. Arrouche l’emporte nettement à Villejuif pour compenser le vote de Cachan. Sur le papier, c’était possible, c’était normal : notre ville est de gauche et écologiste, les dernières élections (départementales et régionales) l’ont rappelé, même si le rejet massif de l’ancienne équipe PCF-PS aux municipales de 2014 laisse encore des traces. Or La République En Marche, parti fourre-tout mais quand même ni très à gauche ni très écologiste, l’emporte aussi à Villejuif : de 280 voix (5204 contre 4925). Comment est-ce possible ?

Le témoignage « visuel » des bureaux de vote les plus significatifs, tels le bureau 33, montre que c’est une partie importante de ses partenaires lors de l’élection présidentielle, les électeurs communistes, qui ont fait défaut au candidat de la France Insoumise (cette déperdition étant parfois compensée par le report des voix de M. Djahlat.) En revanche, dans les bureaux de vote où l’électorat de la candidate EELV était important, il n’y a pas eu de déperdition.

Pour dépasser cette impression, il faut faire un peu de technique. L’impression est alors confirmée. Les électeurs pressés peuvent s’en tenir à cette conclusion.

Un peu de technique

Pour le confirmer l’impression, il faut examiner les résultats par bureau de vote, que vous trouverez ici, sur le site de la ville. (Pour avoir les résultats par bureau, cliquez sur l’onglet « Par bureau ». Pour les résultats du 2nd tour, cliquez sur la ligne « Résultats électoraux », sous la ligne rouge « La participation et les résultats », puis cliquez sur « Législatives 2017, 2nd tour ».)

J’ai reporté dans un tableur « Excel » les résultats. Voici le tableur lui-même pour les connaisseurs :

Et voici ce que ça donne :

Sur la première colonne, les bureaux de vote. Pour voir le quartier que « draine » un bureau, reportez-vous à la carte des rues correspondantes, c’est là.

Je n’ai reporté, parce que j’avais la flemme, que les résultats des « bastions de gauche », les bureaux où, soit le PCF (en blanc), soit le PS (en rose) ont obtenu plus de 10% au premier tour. J’y ai rajouté le bureau 34 de l’école Robespierre (en vert), parce que la victoire de D. Arrouche dans ce bureau a provoqué la stupéfaction générale au soir du vote. Mais vous pouvez compléter le tableur vous-même, et me le renvoyer, ça me ferait plaisir !

Sur les trois premières colonnes du tableau (B,C,D) sont reportées les résultats, en nombre de voix, des 3 partis de gauche ou écologiste éliminés au premier tour.

J’ai rajouté une colonne E pour les voix en faveur de Mafout Djahlat, personnalité populaire du quartier Sud aux positions aléatoires. Il était de notre liste L’Avenir à Villejuif, partisan puis procureur de l’Union citoyenne, il se réclamait au premier tour de la « majorité présidentielle », mais le réseau de ses conseillers est plutôt communiste (voir sa page facebook), or son score est significatif dans deux bastions PCF, à Lamartine (école Lebon, bureau 15) et aux Lozaits ( bureau 30). J’aurais pu ajouter les électeurs des 3 trotskystes, mais leur score n’est nulle part significatif.

(Remarque pour les « spécialistes ». On mesure ici combien la statistique est un art difficile ! Déjà pour « construire le tableau des données », il nous faut faire des arbitrages. M. Djahlat n’a pas appelé à voter FI ? mais les autres non plus, on le verra plus loin. Je l’agrège aux réserves de voix de FI dans les quartiers sud parce que je les connais, et que je sais que l’erreur serait pire en l’oubliant, mais si vous n’êtes pas d’accord vous pouvez reprendre le tableur et supprimer la colonne E.)

En colonne F, je fais la somme des voix de ces 4 candidat-e-s, qui constitue, dans chaque bureau, la « réserve de voix » qui normalement devaient se reporter, comme on disait autrefois, sur « le candidat de gauche arrivé en tête », et donc sur D. Arrouche. J’inscris son résultat réel au premier tour, colonne G, et au second tour, colonne H.

Puis j’inscris en colonne I le gain de Djamel Arrouche d’un tour sur l’autre (c’est-à-dire H-G). Je suppose pour simplifier que presque toutes les voix qu’il a eues au premier tour lui sont revenues au second (ce n’est pas tout à fait vrai). Et je dois maintenant comparer ces gains à ses réserves (en colonne F).

Un report de voix visiblement médiocre

Il s’agit en effet de savoir si les électeurs/trices qui, au premier tour, se sont portés sur les candidates PCF, PS ou EELV (toutes des femmes, signe des temps ! ) ou sur M. Djalhat se sont bien reportées sur D. Arrouche, selon la « discipline républicaine » traditionnelle.

Eh bien non, loin de là, et c’est ça le problème.

Une première méthode, brutale, pour en prendre la mesure consiste à faire le comparaison directe entre le gain potentiel (la réserve) et le gain réel entre les deux tours (colonne J : I divisé par F). C’est ce qu’on peut appeler le « taux de report apparent des électeurs de gauche ou écologistes sur la FI ». Je dis « apparent », parce que d’autres électeurs ont pu aussi voter Arrouche, qui ne l’avaient pas fait au premier tour : trotskystes, abstentionnistes… Et même des FN : le candidat FN a appelé à voter Arrouche (ce qui a d’ailleurs permis à des communistes de « refuser de mêler leur voix à celles du FN ») , et il peut avoir été entendu par les « gaucho-lepenistes ». Je vous indique en colonne K le vote FN du bureau. Le gain I ne vient pas forcément de la réserve F.

Normalement ce taux de report aurait donc dû être proche de 1 (c’est-à-dire 100 %), car :
-  Les électeurs « écœurés du PS » ont rallié Gaillot ou Arrouche dès le premier tour. Ceux qui ont voté PS au premier tour sont des « socialistes endurcis » habitués à la discipline de vote.
-  C’est encore plus vrai pour les électeurs EELV. Traditionnellement, ces électeurs sont « stratèges », ils ne votent Vert qu’aux élections à la proportionnelle (ou à la rigueur aux cantonales). Aux présidentielles et législatives, ne votent Vert que les plus résolus. Cette fois, à Villejuif, leur part est 40% plus grande qu’en 2012, et d’ailleurs leur poids a assuré la victoire de D. Arrouche à Arcueil.
-  Les communistes sortaient d’une campagne pour la présidentielle en faveur de JL Mélenchon, aux cotés de D. Arrouche.

Oui mais voilà : après la présidentielle, ça s’est très mal passé entre JL Mélenchon et les communistes. « Vous êtes la mort, le néant » a-t-il écrit par texto à P. Laurent, secrétaire national du PCF. J’ai d’ailleurs trouvé un bulletin de vote imprimé « La Mort Le Néant » dans l’urne du bureau 3. Ambiance…

En fait, seule la candidate EELV appelait implicitement à voter Arrouche quoique sans le nommer en lui adressant un questionnaire « fastoche » auquel il s’est empressé de répondre. La candidate PCF appelait à combattre Macron « dans les urnes ce dimanche ». La candidate socialiste ne disait rien sur le second tour et le (sympathique) trésorier des socialistes Villejuifois ne parlait que de reconstruire le PS et, dans un paragraphe ni-niste, fustigeait « la France Insoumise, organisée de manière jacobine et autoritaire et qui porte en son sein la fin de l’idéal européen. ». Ça s’annonçait mal.

Résultat ? Voyons donc ce fameux taux apparent. Ça se passe bien aux bureaux 1, 2, 8, puis 16, 25 ou 29, où les électeurs EELV sont assez nombreux : les reports se font presque impeccablement (taux supérieurs à 90 %) . Dès le bureau 3 (très dominé par l’électorat PCF « historique ») et 4 (même chose, mais très socialiste), ça se gâte. On a l’impression que les reports se font bien quand il n’y a pas de parti dominant à gauche, ou que les Verts y sont forts. Mais ce n’est pas vrai partout (bureau 32).

Bureau 19 ou 28 au contraire, écoles Marcel Cachin et Vaillant-Couturier, le poids écrasant du PCF se traduit par un mauvis report (63 %). La vengeance est un plat qui se mange à peine tiède. Dans les super-bastions PCF, Hautes Bruyères (10), cité Lamartine-Lebon (15) et cité Duclos-Maison des parents (33), c’est à peine mieux. En fait la rupture PCF/FI peut s’être exprimée dès le premier tour, c’est probablement ce qui s’est passé bureau 3, où les électorats de gauche apparaissent irréconciliables.

Et ce fameux bureau Robespierre (34), qu’on savait pas si gauchiste mais où pourtant France Insoumise l’emporte ? Les électeurs Verts y sont en tête de la « gauche non-mélenchoniste » au premier tour… et un bon report (87 %) assure le succès de D. Arrouche ! Il s’agit certainement de l’effet « ZAC Aragon » : les militantes vertes ou L’Avenir à Villejuif y incarnent depuis des années la lutte contre l’aménageur féroce, la Sadev, or la France Insoumise n’est pas perçue comme liée à la Sadev (au contraire du PCF et du PS) : le report se fait assez naturellement.

Le vrai taux de report : 68 %

Une curiosité : le bureau 30 (maternelle Langevin) où le report des voix semble… supérieur à 100 % ! C’est un bastion Djahlat, mais ça ne suffit pas. D’autres électeurs, « gaucho-lepenistes », trotskystes ou abstentionnistes du premier tour ont pu compenser, et au delà, des reports imparfaits PCF ou PS.

Cela nous rappelle que le « taux apparent « n’est pas un très bon indicateur, car l’afflux de voix venues d’ailleurs vient perturber son caractère de « report ». Il faudrait pouvoir distinguer, d’une part, ces reports qui viennent de n’importe où, un peu au hasard selon les bureaux de vote, et d’autre part le report de voix de gauche et écologistes, selon une proportion moyenne qu’on aimerait bien connaitre. Il existe une technique pour cela, que « nous aut’ les matheux, là », comme dirait JLM, appelons la « régression linéaire », et que nous offre gracieusement le tableur Excel.

Voici l’idée. On représente les différents bureaux de vote sur un graphique en les situant, sur l’axe horizontal, selon les « réserves » de voix de Arrouche (colonne F) et, sur l’axe vertical, selon les gains obtenus par Arrouche (colonne I). Les bureaux sont représentés par de petits losanges. Et on essaie de trouver la ligne droite qui, en moyenne, les relie le mieux. C’est votre ordinateur qui fait le calcul, évidemment. Ça donne ceci :

Cette droite a une pente de 68 % et elle coupe l’axe vertical à peu près à 15. Traduction en français normal :

En moyenne, dans chaque bureau, de vote D. Arrouche a reçu au second tour, outre ses voix du premier tour, 15 voix venues d’un peu partout, plus 68 voix par centaine de voix PC, PS, EELV ou Djalat du premier tour.

Ce taux (68 % ; disons : deux tiers) est le taux de report moyen des électeurs qui avaient voté au premier tour pour d’autres partis de gauche ou écologistes, sur le candidat de la France insoumise,

Autrement dit encore :

En moyenne, 32 % des électeurs PCF, PS ou EELV, soit à peu près un sur trois, ne se sont pas reportés sur D. Arrouche au second tour.

Désolé, mais je ne sais pas comment faire pour que, à coté des petits losanges sur le graphique, apparaisse le n° du bureau de vote et non pas sa réserve de voix (je suis preneur d’un cours particulier). Ça vous permettrait d’identifier quels sont les bureaux de vote qui ne font « même pas le report moyen », ceux qui sont nettement en dessous de la droite. Ce sont par exemple les bureaux 11 et 28 (94 et 95 voix en réserve, 59 et 60 de gain) : bureaux largement, voire fortement communistes. Inversement, le bureau 30, on l’a vu, fait nettement mieux, mais il n’est pas le seul : il y a aussi le 2 et le 8, à forte proportion d’électeurs verts.

Ce sont donc les médiocres reports des réserves de gauche, en particulier communistes, qui « ont tuer » D. Arrouche sur la ville de Villejuif. Il est très facile de calculer (les amateurs peuvent jouer à la politique fiction sur la ligne O de mon tableur) qu’avec un taux de report moyen de 80% au lieu de 68% , Djamel Arrouche aurait obtenu 5300 voix et battu la candidate En Marche. Est-il besoin de préciser que si des électeurs sont restés au second tour... sur la réserve, la responsabilité en est partagée ?

Logo : « La mariée mise à nu par ses célibataires, même », œuvre de Marcel Duchamp.

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