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La politique foncière d’une municipalité communiste - Partie 3

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30 août 2012
Manon Castagné

Fruits du travail

B. Des choix politiques critiquables

1.Une politique favorisant la construction de logements sociaux contestable

Les taxes sur le logement sont particulièrement élevées à Villejuif. Avec un impôt moyen de 2 061€ pour l’année 2012, répartis entre 1 008€ de taxe d’habitation et 1 053€ de taxe foncière, le magazine Capital a classé Villejuif 80ème sur les 450 plus grandes villes de France pour son taux d’imposition moyen des foyers ne bénéficiant pas de l’exonération pour revenus modestes. A titre de comparaison, c’est quasiment deux fois plus qu’à Montrouge (1 122€), Nanterre (1 168€) ou Malakoff (1 179€). Quant à Paris, les impôts locaux y sont de 1 239€, divisés entre 552€ pour l’habitation, et 687€ pour la taxe foncière.
En plus de cela, la Ville impose un pourcentage de logements sociaux aux promoteurs immobiliers via une Charte de l’habitat.

A partir de 1 500 m2, les promoteurs signataires ont pour obligation de construire 40% de logements sociaux et « s’engagent à construire au moins 70% de F3 à F5 » pour accueillir entre autres « une demande importante de familles notamment recomposées ou divorcées ». Ainsi, si la nouvelle loi Duflot obligera les communes de plus de 3 500 habitants à proposer 25% de logements sociaux (au lieu des 20% actuels) afin d’encourager la mixité sociale, Villejuif en est aujourd’hui à 36%, et ce chiffre est amené à passer à 40%, selon les objectifs du PADD (Projet d’Aménagement et de Développement Durable : voté en 2011, il fixe les grands principes d’aménagement de la Ville pour les dix années à venir). La Ville a par ailleurs affiché son souhait de construire 400 nouveaux logements par an dont 40% de logement social.
Les conséquences de cette politique sont claires pour les agents immobiliers : désincitation des promoteurs immobiliers à l’investissement – comme le note d’ailleurs Le Nouvel Observateur (Spécial immobilier, 22 au 28 août), incidences sur les paysages et fuite de clients potentiels qui refusent de payer plus cher que leur voisin pour un bien équivalent.
C’est toutefois le creusement des inégalités sociales à Villejuif, comme le fait observer le PLU, qui est la conséquence la plus préoccupante d’une telle politique. D’après les agents immobiliers rencontrés, les ménages aux revenus « moyens » sont dissuadés de venir s’installer à Villejuif : ni assez démunis pour bénéficier des aides sociales, ni assez aisés pour supporter sans douleur cette politique de forte taxation, ils préfèreront s’en aller dans des communes voisines, comme à Vitry-sur-Seine, où l’imposition locale moyenne est de 1 482€.
Bref, la politique de mixité sociale proclamée par la Ville aboutit à maintenir et à renforcer la part des populations défavorisées plus qu’à créer une réelle hétérogénéité. Y’aurait-il un objectif politique derrière cela ? La rumeur, toujours d’après ces agents, dit que le but recherché est de minimiser la gentrification de Villejuif pour favoriser une population démunie plus encline à voter Parti communiste.
De plus, et comme cela a été remarqué lors des réunions publiques des Ateliers de l’Avenir à Villejuif des 4 juin et 4 juillet dernier, respectivement sur l’urbanisme et sur le vivre ensemble, une question majeure est : est-il raisonnable que la municipalité mène une telle politique ? Au vu des nombreux problèmes de sécurité que rencontre ce type de peuplement, ainsi qu’aux difficultés financières que rencontre la Ville (cf. II. B. 2.), il semble curieux que l’augmentation de la part de logements dits sociaux soit une priorité pour une Ville dont la contribution à cet effort est déjà bien au-delà de la moyenne nationale et qui n’a pas les moyens d’améliorer la qualité de vie de ceux qui sont déjà là.

2. Comprendre le rôle de la Sadev 94 et du Saf 94

Comme l’explique Alain Lipietz dans son interview, le préfet du Val-de-Marne a imposé en 1996 la création de deux institutions distinctes pour mettre fin au double emploi de la Sidéco : le Saf 94, chargé du portefeuille foncier, et la Sadev 94, société d’aménagement.
Il semblerait toutefois que cela n’ait pas suffit à empêcher la suractivité foncière ni à clairement partager les tâches d’aménageur et de réserve foncière – c’est notamment ce que reproche à la Sadev 94 le rapport de la Chambre régionale des comptes de novembre 2012. D’autre part, la Sadev 94 exerce un certain monopole puisqu’elle a le plus de compétences sur la zone qu’elle étudie depuis longtemps et remporte donc la grande majorité des appels d’offre, comme en témoigne ce même rapport. Aux vues de ces éléments, il est légitime de se demander quelles différences existent dans la pratique entre l’ancienne Sidéco et le nouveau duo Saf 94-Sadev 94.

3. Un endettement important dont l’évolution est difficile à prévoir

Dans le rapport d’observation définitif de la CRC (Chambre Régionale des Comptes) d’Île-de-France, Villejuif est décrite comme bénéficiant d’une évolution démographique positive ces dernières années en raison de l’installation d’une population à revenus moyens et supérieurs. Toujours selon ce rapport, l’endettement de la Ville s’est donc creusé en raison de trois facteurs : un besoin croissant en infrastructures diverses, une politique sociale en faveur des populations les plus défavorisées, des charges structurelles – principalement les charges liées à l’emploi de personnel – lourdes.
Le rapport note aussi que l’endettement, chiffré à 108 912 000€ en 2012, ne peut être compensé par la fiscalité, qui est déjà particulièrement élevée à Villejuif. L’emprunt à taux variable en fonction des marchés financiers est actuellement la solution adoptée par la Ville – une solution de court terme et dangereuse s’il en est. C’est d’autant plus inquiétant que la Chambre régionale des comptes a souligné que la Sadev 94 est elle-même surendettée. Or la ville de Villejuif est à la fois actionnaire de la Sadev 94 et garante des emprunts qu’elle a contractés. La municipalité espère utiliser la Cave (impôt substitué à la taxe professionnelle en 2010) issue de l’installation du LCL pour continuer sa politique. En janvier 2013, le maire Claudine Cordillot expliquait comment elle comptait utiliser cet argent : « Nous privilégierons l’investissement, notamment pour nos dépenses en matière d’entretien, de rénovation et de développement de notre patrimoine, mais aussi pour des travaux de voirie. ». Toutefois, elle affirme être consciente « (...) que l’amélioration du potentiel fiscal de la ville qui découle de la Cave a aussi des conséquences qui peuvent se traduire demain par des baisses de dotations de péréquation [Villejuif est allocataire de la Dotation de Solidarité Urbaine et de fonds de solidarité de la région]. Par ailleurs, nous savons que ce montant n’est pas garanti de façon pérenne. »

4. Le droit de préemption urbain : un usage abusif ?

Qu’est-ce que le droit de préemption urbain (DPU) ?

Le droit de préemption est une procédure permettant à une personne publique (ex : collectivité territoriale) d’acquérir en priorité, dans certaines zones préalablement définies par elle, un bien immobilier mis en vente par une personne privée (particulier) ou morale (entreprise), dans le but de réaliser des opérations d’aménagement urbain.
Le propriétaire du bien n’est alors pas libre de vendre son bien à l’acquéreur de son choix et aux conditions qu’il souhaite
.

En outre, à Villejuif le droit de préemption urbain est dit renforcé, ce qui signifie qu’un certain nombre d’opérations normalement exclues de l’exercice du DPU peuvent tout de même y être soumis, conformément au dernier alinéa de l’article L211-4 du code de l’urbanisme :

Ce droit de préemption n’est pas applicable :

a) A l’aliénation d’un ou plusieurs lots constitués soit par un seul local à usage d’habitation, à usage professionnel ou à usage professionnel et d’habitation, soit par un tel local et ses locaux accessoires, soit par un ou plusieurs locaux accessoires d’un tel local, compris dans un bâtiment effectivement soumis, à la date du projet d’aliénation, au régime de la copropriété, soit à la suite du partage total ou partiel d’une société d’attribution, soit depuis dix années au moins dans les cas où la mise en copropriété ne résulte pas d’un tel partage, la date de publication du règlement de copropriété au fichier immobilier constituant le point de départ de ce délai ;
b) A la cession de parts ou d’actions de sociétés visées aux titres II et III de la loi n° 71-579 du 16 juillet 1971 et donnant vocation à l’attribution d’un local d’habitation, d’un local professionnel ou d’un local mixte et des locaux qui lui sont accessoires ;
c) A l’aliénation d’un immeuble bâti, pendant une période de dix ans à compter de son achèvement ;
d) A la cession de la majorité des parts d’une société civile immobilière, lorsque le patrimoine de cette société est constitué par une unité foncière, bâtie ou non, dont la cession serait soumise au droit de préemption. Le présent alinéa ne s’applique pas aux sociétés civiles immobilières constituées exclusivement entre parents et alliés jusqu’au quatrième degré inclus.
Toutefois, par délibération motivée, la commune peut décider d’appliquer ce droit de préemption aux aliénations et cessions mentionnées au présent article sur la totalité ou certaines parties du territoire soumis à ce droit.

Autrement dit, la municipalité a un droit de préemption sur l’ensemble du territoire de la commune. Cela lui permet d’avoir connaissance de tous les mouvements fonciers se déroulant sur son territoire. Ainsi, lors d’une cession de bien, le notaire ou l’agence immobilière doit signaler la promesse de vente à la mairie. Celle-ci a alors un délai de deux mois pour utiliser son droit de préemption et donc s’interposer ou non entre le vendeur et l’acquéreur.
La Mairie dispose donc de ce droit qui s’apparente à un outil, et comme tout outil, il peut-être utilisé à diverses fins. Par exemple, dans le contexte villejuifois, il serait possible de préempter les commerces mis en vente dans le centre ville afin de faire en sorte que la zone reste commerciale et hétérogène en contrôlant quel type de commerce s’y installe, via l’instauration d’un périmètre de sauvegarde du commerce de proximité. Inversement, le DPU peut aussi permettre une certaine mainmise de la commune sur les flux immobiliers dans la mesure où cela lui permet d’avoir un droit de regard et d’intervention sur chaque transaction.
Mais alors, comment le droit de préemption est-il utilisé à Villejuif ? Car, bien évidemment, le droit de préemption est encadré par un certains nombre de conditions, la plus importante étant que son utilisation réponde à un objectif d’aménagement urbain d’intérêt général. C’est précisément sur ce point que la municipalité semble abuser de son droit de préemption. Ainsi, trois agents immobiliers que nous avons interrogés estiment que la mairie utilise ce droit non pas dans un objectif d’intérêt général mais afin de choisir quelle population s’installe sur le territoire de la commune : si un acheteur potentiel « ne lui plaît pas » (voir interviews), la mairie – ou le Saf 94 ou la Sadev 94 lorsque celle-ci a délégué son droit de préemption – préempte en offrant un prix inférieur au vendeur.
Selon les personnes interviewées, les raison de l’offre d’un prix inférieur divergent. Un premier agent nous a avoué ne pas en connaître les raisons mais suppose que cela fait partie d’une stratégie pour réguler les prix. Un autre nous a dit que le prix proposé était inférieur afin que le vendeur refuse, que la mairie accepte alors de se retirer de la vente pour proposer un autre acheteur, de son choix, au vendeur. Un autre agent nous a confirmé, en utilisant le même exemple que le précédent, que ce droit avait été utilisé d’une manière fallacieuse en utilisant un faux projet de développement urbain comme excuse. Toutefois, les deux nous ont dit qu’un tel usage demeurait l’exception plutôt que la règle.
Néanmoins, le DPU renforcé de la Ville semble être un puissant outil de contrôle de la sociologie de la Ville : à la fois car il permet de mettre en place la politique de densification de la municipalité mais aussi car il permet de s’interposer entre vendeurs et acquéreurs lorsque ce dernier "ne lui plaît pas".

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