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12 mars 2017
Alain Lipietz

PCF-PS contre Gandais-Lipietz : analyse d’une étrange victoire de la liberté d’expression

Les « copies de travail » du jugement de la Cour d’appel, dans le procès en diffamation intenté par des militants du PCF et du PS, expliquent pourquoi nous ne sommes pas condamnés à démentir ce que nous avons écrit, mais sommes quand même condamnés à payer une assez forte somme !

Les curieuses conclusions du procès en appel nous ont été présentées oralement le 23 février. Nous disposons désormais de la « copie de travail », jugement presque définitif, pour comprendre. 

Nos motifs de satisfaction

Nous publions ici ces « copies de travail » (amputées du rappel des jugements en première instance, que nous avons déjà publiées ) :

Natalie Gandais
Alain Lipietz

Le résultat de notre appel, que nous qualifions de « coûteuse victoire », c’est que :

1. Nous ne sommes toujours pas condamnés à retirer de nos sites les passages incriminés.
2. Nous ne sommes plus condamnés à publier le jugement les démentant dans la presse.
3. Le PS est débouté de sa plainte contre Alain Lipietz
4. L’amende pénale de 800 euros avec sursis est confirmée.
5. Les dommages et intérêts sont diminués de moitié
6. Les indemnités pour les avocats sont également beaucoup réduites.

Bref, ce que nous avons écrit des raisons qui ont amené les Villejuifois à rejeter la liste Cordillot en 2014 restera comme archives de l’histoire de Villejuif, ici et . Et en dehors des sites internet (d’où est partie l’affaire) et des commentaires dans la presse, il n’y aura pas de publicité donnée à notre condamnation, si ce n’est les débats qui peuvent se poursuivre sur les forums qui restent ouverts comme aux premiers jours à tout commentaire, protestation, démenti, droit de réponse…

C’est donc une victoire, symbolique, de la liberté d’expression en matière politique. Victoire de fait (points 1 et 2), que la Cour d’appel de Paris n’a toutefois pas souligné explicitement.

Nous avions pourtant produit un arrêt « Canese » de la Cour interaméricaine des Droits de la personne humaine (sœur de notre Cour européenne de Strasbourg), qui résume la jurisprudence internationale. La « jurisprudence », c’est l’interprétation du droit, donnée par les juges des plus hautes cours. Voir des extraits de ce beau texte dans notre récit de l’audience devant la Cour d’appel. Citons :

« La liberté d’expression et d’information sont parmi les principaux mécanismes permettant à la société de contrôler démocratiquement les personnes qui ont en charge les intérêts publics Les imputations de calomnie, injures et diffamation visent à protéger (…) le bien juridique qu’est l’honneur. Néanmoins, dans les cas où la sanction pénale concerne des intérêts publics ou des expressions politiques relatives à une compétition électorale, elles violent le droit d’expression consacré par l’article 13 de la Convention (des droits de l’Homme) (…). La non-punibilité devra prévaloir dans le contexte d’intérêt public, comme peut l’être une compétition électorale. » 

Plus loin la Cour des Droits de l’Homme précise que la forme normale de réponse à ce qui est perçu comme une diffamation est le « droit de réponse » dans les médias. Et que des dommages civils disproportionnés peuvent être une entrave par intimidation à la liberté d’expression, équivalente à la censure. Notre Cour d’appel de Paris a manqué l’occasion de le rappeler avec fermeté.

Remarquons toutefois que ces plaignants socialistes ou communistes n’avaient nullement songé à demander la suppression des propos « intolérables pour leur honneur », datant de fin avril 2014, alors même qu’ils se sont répandus, un an et demi plus tard, en sanglots devant la justice, évoquant la souffrance de leurs enfants ou les mânes de leurs ancêtres. Ils ne songèrent même pas alors à y répondre, sur nos forums qui leur étaient largement ouverts ou sur leurs propres médias internet. Ils ne clameront leur indignation dans la presse qu’à la rentrée 2014. Ils n’ont songé à tirer ces textes de l’oubli, en portant plainte, que lorsque, fin juillet 2014, tomba la validation de nos comptes de campagne par la Commission Nationale des Comptes de campagne, anéantissant leurs espoirs de faire annuler l’élection municipale. Mais ils demandaient une publication dans la presse condamnant nos propos, ce que vient de leur refuser la Cour d’Appel.
 
Autre satisfaction : les plaignants du PS sont purement et simplement déboutés du procès intenté contre mes écrits. Flairant l’aubaine, ils avaient essayé d’obtenir des frais d’avocat à partir de phrases visant explicitement le PCF et lui seul, comme le remarque la Cour d’appel. Dommage qu’ils n’aient pas été condamnés pour « plainte abusive » ! 

En revanche, la même phrase du jugement (page 13 en haut) aurait pu être employée contre M. Garzon et Mme Contant, qui se sont raccrochés au wagon de la plainte des militants PCF, alors même que le texte incriminé ne visait –selon le jugement lui-même ! – que le PCF « au pouvoir en 2013 », ce qui n’était pas le cas de ces deux personnes, candidates pour la première fois en 2014. Et pourtant ils auront droit aux mêmes dommages et frais d’avocat que les autres, soit 800 euros chacun.

Le prix de la liberté d’expression

 

Cette somme (2 X 800 = 1600 euros) peut sembler minime. Elle serait quand même très lourde pour un ouvrier, un petit employé ou une militante associative bénévole.
 
C’est bien là le problème que pose ce jugement, mais surtout la plainte même de ces militants « communistes » et « socialistes ». Leur astuce a consisté à multiplier les plaintes individuelles, dans une controverse strictement politique entre partis qui venaient de s’opposer aux élections municipales. Si les plaignants « socialistes » avaient la décence de demander seulement un euro symbolique, ils réclamaient, comme ceux PCF, de lourds frais d’avocats et une coûteuse publication du jugement dans la presse.

En sorte que la Cour d’appel, qui a fait le choix de nous condamner « pour le principe » (on verra lequel plus loin) à des sommes qu’elle estimait sans doute minimes, aboutit quand même au total à une peine « dissuasive, équivalente à une censure de l’expression démocratique » selon les termes de la jurisprudence internationale. 

C’est pourquoi nous considérons que le but de cette mascarade (outre l’intérêt pécunier) était de dissuader toute critique par les Villejuifois de certaines pratiques des municipalités antérieures à 2014.

Qu’on en juge. Ces plaignants « communistes » et « socialistes » demandaient initialement 472 000 euros, soit 34 ans et demi de Smic net, et plus que la valeur de notre maison : pour avoir eu le front d’écrire noir sur blanc ce que pensaient les 68% de Villejuifois qui les ont limogés ?

Le tribunal en première instance leur accordait un peu moins de 70 000 euros, soit quand même plus de 5 ans de Smic : la liberté d’expression et de critique politique restait hors de prix.

Le jugement en appel ramène ce prix à 17 800 euros. L’une d’entre nous, n’ayant pas retrouvé de travail salarié suite à son action menée… contre l’improbité du maire actuel, étant désormais bénévole associative, l’autre étant retraité, nous pourrons payer… avec le temps. Mais cela reste hors de portée de bien des habitants de Villejuif. Sur ce point, « ils » ont gagné.

Il est intéressant de noter comment la Cour d’appel a divisé par 4 la condamnation en première instance. Voici le tableau Excel comparatif :

Facture condamnations

On voit que la diminution des pénalités vient de l’abandon des publications dans la presse, du PS débouté dans un des procès, de la réduction des dommages et frais d’avocat (par plaignant).

Les rapports avec la délinquance

Reste que le procès en appel a bel et bien confirmé la condamnation de nos propos. Le motif ? « L’insuffisance de preuves de notre bonne foi ».

Nos propos portaient sur deux points, largement connus des Villejuifois et motifs de la défaite de l’ancienne équipe : suspicion de proximité ou de complaisance avec la délinquance, et de détournement de fonds publics. Nous n’allons pas reprendre ici nos arguments, lors de l’audience en appel déjà racontée là. Voyons comment la Cour y répond.

Commençons par le premier point, qui se concentre sur la phrase de Natalie Gandais : « Je sais déjà que la police est découragée parce que l’ancienne équipe courait systématiquement faire libérer les délinquants arrêtés (…) C’est cette culture de l’impunité qui pourrit la vie des quartiers. »

Pour ces deux phrases, Natalie Gandais est condamnée au pénal à une amende de 800 euros avec sursis, et à verser aux plaignants 9308 euros. Avis aux amateurs villejuifois ! 

Dans son cas, la « recevabilité » de la plainte du PS est reconnue par la Cour. Pourtant, comme l’a raconté Natalie Gandais à l’audience, un jeune militant du PS nous a expliqué : « On a porté plainte pour laver notre honneur : tout le monde sait qui s’occupait de ça, on n’y était pour rien. » Natalie Gandais a donc présenté ses excuses à l’audience pour le caractère trop général de sa formulation. Mais à l’audience le PS a insisté : « Nous étions totalement solidaires du PCF. » S’ils le disent…

Le jugement réaffirme que Natalie Gandais n’a pas écrit cela par animosité personnelle envers l’ancienne équipe, que la seconde phrase est un jugement politique, mais la condamne pour ne pas avoir apporté à l’audience une « base factuelle suffisante pour prouver sa bonne foi », s’agissant de la première phrase. 

Tel est le motif de la condamnation, valable aussi pour l’autre « diffamation ».

La « bonne foi », exception judiciaire à la langue française ?

 

Il vaut la peine d’en discuter car il s’agit là d’une divergence importante entre la jurisprudence française et celle des Cours internationales des Droits de l’Homme, bien plus avancée démocratiquement.

Pour le commun des mortels, et dans le français courant, la « bonne foi » consiste à répéter ce que l’on tient pour vrai, parce que c’est acquis pour la plupart des gens (ce que les philosophes appellent la « communauté épistémique » et les Anglais common knowledge). La mauvaise foi consiste à sortir de son chapeau un bobard inventé pour l’occasion. Naturellement, l’opinion générale peut se tromper : ça n’empêche qu’on est de bonne foi en répétant ce que beaucoup pensent (sauf si on pense déjà que c’est faux).

Que les phrases de Natalie Gandais reflètent l’opinion générale des Villejuifois est confirmé encore en 2012 par la plus proche des adjointes de Mme Cordillot (et elle-même plaignante !) Mme Sandra da Silva : « Quand je suis arrivée, raconte-t-elle, il se disait à travers la ville que le maire ne faisait rien, aidait les délinquants, ne voulait pas d’action policière. » S. da Silva explique, sur le cas du quartier Lamartine, ce qu’elle a tenté de faire, avec le piètre résultat que l’on sait jusqu’en 2013. (Voir ici).

Mais ça ne suffit pas ! La jurisprudence française veut que, pour montrer sa bonne foi, l’auteure prouve ses dire, comme si elle était elle-même un policier enquêteur (c’est ce qu’on appelle la « base factuelle suffisante »). Alors qu’elle a été justement été élue parce que le peuple souverain a estimé que c’était là un des gros problème de Villejuif, et qu’il fallait changer de politique. 

Or la Cour d’appel n’a même pas pris en considération ce « changement de politique ». Elle reproche à Natalie Gandais de ne pas avoir produit une attestation du commissaire du Kremlin-Bicêtre, alors que les juges ne peuvent ignorer son devoir de réserve, qu’eux seuls auraient pu lever : mais lui ont-ils posé la question ?

La Cour invente des qualifications fantaisistes aux témoins confirmant les dires de Natalie Gandais, pour suggérer qu’ils sont de complaisance (Mme Rollin-Coutant n’a jamais été « élue municipale EELV » et avait appelé à voter Cordillot, etc). Elle va jusqu’à écrire (page 12, § 2) : « [Le nouveau maire certifie qu’il a informé le Commissaire du changement de politique en la matière] sans que l’on sache si son interlocuteur a effectivement perçu ses déclarations comme un changement de politique. » C’est vrai, quoi, on ne peut pas le savoir, s’il a effectivement « perçu » ce qu’on lui disait ! Mais N. Gandais était « de bonne foi » en le pensant, puisque qu’elle avait demandé au maire d’en parler au commissaire, un commandant de police s’étant étonné de ce changement de politique. 

Sauf que la police a effectivement changé d’approche, Natalie Gandais l’avait expliqué dès la première instance, et la justice pouvait facilement le vérifier. Alors que ce commandant de police avait d’abord refusé d’intervenir contre des dealers qui menaçaient une jeune femme et l’avaient chassée de chez elle, cette même police, après les protestations de Natalie Gandais, première adjointe, qui lui affirmait un changement de politique, après que le nouveau maire lui-même se fut adressé au commissaire pour lui signifier le « changement de politique » de la municipalité, la police est effectivement intervenue (et efficacement). Une base « factuelle » que la Cour aurait pu « percevoir » et vérifier facilement. 

Les dates de la « base factuelle »

Toutefois, nous n’accablerons pas une Cour d’Appel spécialisée dans des délits de presse ! Nous connaissons la misère de la justice française, Elle n’a pas plus les moyens ni le temps d’enquêter que n’en avait l’accusée. C’est la jurisprudence française sur la bonne foi qui est « tordue » : pourquoi chipoter la « base factuelle » offerte par l’accusée en gage de bonne foi , quand le malheureux tribunal n’a aucun moyen d’enquêter sur « les faits » ? La Cour ne peut-elle, si elle doute (que le commissaire avait bien compris ce que le maire lui disait , que la politique de la Ville vis-à-vis des dealers a vraiment changé, etc), appliquer l’adage général de la présomption d’innocence, « le doute doit bénéficier à l’accusée » ?
 
La jurisprudence française est d’autant plus perverse qu’elle exige, en plus, que la « base factuelle » (c’est-à-dire les preuves) soit acquise AVANT les propos attaqués comme diffamatoires. Ce n’est pas la jurisprudence internationale des Cours de droits de l’Homme ! 

Me Leclerc, notre défenseur, a cité l’arrêt « Mamère » de la Cour de Strasbourg, contredisant la justice française : Noel Mamère avait le droit de critiquer le prof. Pellerin, même si la preuve que le nuage de Tchernobyl a franchi les frontières françaises n’a pu être apportée scientifiquement qu’après les déclarations de Noël Mamère…

N’ignorant pas ces particularités de la doctrine française, nous avions cru pouvoir nous centrer à l’audience sur une base factuelle irréfutable : le procès Lamartine, intervenu « avant » les propos de Natalie Gandais. Là, il y avait un consensus du Procureur de la République et des propres avocats des dealers pour porter contre la mairie de Villejuif les mêmes accusations que celles que portaient les Villejuifois, citées par Mme da Silva, et qu’évoquait Natalie Gandais : le « double jeu » de la mairie, qui achetait la paix sociale en ménageant les dealers Nous avions cru que cette « base factuelle » avait l’autorité de la chose jugée. 

La Cour semble cette fois l’admettre… Sauf que, voilà, voilà, c’était en effet « avant », mais c’était… trop tôt ! « Les faits remontent à 2004 », écrit-elle, et ne sauraient justifier des « propos mettant en cause l’ancienne équipe municipale, lors de la mandature 2008-2014. » 

Mais enfin ! Où Natalie Gandais a-t-elle écrit qu’elle faisait remonter le découragement de la police à la mandature 2008-2014 ? Nulle part. La mandature 2001-2008, c’était la même équipe et la même politique. Et dans les phrases condamnées de mon texte, je dis explicitement que ces dérives attribuées au PC villejuifois remontaient… aux années 70. 

« J’ai confiance en la justice de mon pays »… mais il y a parfois de quoi être troublé.

Détournements de fonds public et autorité de la chose jugée

Venons-en à mon texte. Je rappelle qu’il s’agit d’un plaidoyer adressé au conseil statuaire de mon parti pour expliquer pourquoi notre groupe local villejuifois a décidé, en 2014, de ne pas fusionner avec la liste de Mme Cordillot. J’ai présenté à l’audience mes regrets de ne pas avoir protégé l’accès internet à ce texte, de nature strictement interne.

S’agissant de mes mentions des rapports du PCF villejuifois avec la délinquance, la Cour fait un « copié-collé » de son jugement sur Natalie Gandais, et concentre la critique de mon écrit sur l’allégation de détournement de fonds publics. 

Quoique nous ayons acquis, postérieurement à mes propos, diverse preuves (par exemple sur l’occupation de locaux municipaux par des amis ou des succursales du PCF), nous avions, là encore, centré notre « base factuelle » sur des documents officiels antérieurs (rapports de la Chambre régionale des comptes, audit indépendant, jugements de la Cour disciplinaire) sur la Semgest et la Sadev.

Le cas de la Semgest

Sur la Semgest, la Cour écarte le rapport d’audit en raison de sa date (cette fois trop tard – postérieurement à mes écrits), sans tenir compte de ce qu’il cite les comptes administratifs de la Ville, déjà publics, déjà votés, déjà critiqués par les opposants avant même les élections de mars 2014.

Quant au rapport de la Chambre régionale des comptes, la Cour juge que mes propos ne sont pas étayés par sa formule diplomatique : « Les délégations de service public ne sont pas totalement transparentes et permettent au délégataire de dégager des marges substantielles. » Ce qu’en terme brutaux bien des électeurs villejuifois traduisent depuis des lustres par « La Semgest s’en met plein les poches sur le prix des repas de nos enfants et de nos cérémonies, ce qui lui permet de payer des publicités dans L’Huma. »
 
Or la question posée était : le responsable du groupe EELV peut-il de bonne foi écrire à son conseil statutaire que, si son groupe a décidé de ne pas s’allier aux communistes sortants, c’est que ses électeurs rejetaient une équipe qu’ils soupçonnaient de détournement de biens publics ? La Cour d’Appel répond qu’un rapport de la Chambre régionale des comptes n’est pas une « base factuelle suffisante » pour qu’un parti politique écrive explicitement (quoique en interne) ce que pense son propre électorat. N’y a-t-il pas là un cas que la jurisprudence internationale considère comme « censure indirecte entravant la démocratie » ?

Le cas de la Sadev

Mais il y a plus préoccupant : le cas de la Sadev. Résumons notre « base factuelle ».

Le rapport de la Chambre régionale des comptes analyse comment certaines mairies du Val-de-Marne, en fait communistes, et notamment celle de Villejuif, organisent l’attribution de grosses opérations à un aménageur, la Sadev, présidée par un élu communiste de Villejuif. Le caractère « systématique » de cette pratique est bien mis en valeur, et d’ailleurs reconnu par notre Cour d’appel qui parle sans précaution inutile de « système de surfacturation mis en place » au profit de la Sadev (p14, dernier §). Le rapport dénonce ensuite diverses « fuites » dans la comptabilité de la Sadev. Et il détaille comment le président offre au directeur général un cadeau de 444 000 euros d’indemnités de licenciement (alors que le directeur n’est pas du tout licencié…) tout en mentant à son conseil d’administration.

Le Procureur de la Chambre régionale traduit logiquement le président devant une juridiction pénale, la Cour de Discipline Budgétaire et Financière (CDBF). Celle-ci le condamne. Mais l’avocat objecte que le directeur aurait pu obtenir encore plus, et que donc le président n’a pas nui aux intérêts de la Sadev. La Cour de discipline refuse de trancher sur ce point et observe malicieusement qu’en effet, une indemnité de licenciement plus forte aurait été plaidable, n’était le caractère fictif du licenciement, qui « se concilie difficilement » avec le fait que le directeur… reste finalement en poste jusqu’à sa retraite.

Cette fois notre Cour d’appel ne se donne pas la peine d’invoquer la caractère « tardif » du jugement de la Cour de discipline (13 octobre 2015). Au contraire, oubliant les accusations précises de la Chambre régionale, oubliant la condamnation à titre principal du président, élu communiste à Villejuif, à propos des 444 000 euros (bagatelle), notre Cour d’appel se saisit de la réponse ironique de la CDBF sur le caractère plus ou moins excessif du cadeau fait au directeur général pour prétendre… que le président de la Sadev n’a pas été condamné. 

Bref, la Cour d’appel ne reconnaît pas l’autorité de la Chambre régionale des comptes, quant à un fait qu’elle a révélé en 2013 et qui fut largement popularisé dans Villejuif par une association pendant la campagne électorale de 2013-3014. Il s’agit pourtant d’un fait qui sera jugé et condamné par la Chambre de discipline budgétaire et financière. 

Ainsi, même l’autorité de la chose jugée ne serait pas, à ses yeux, une « base factuelle » suffisante pour prouver sa « bonne foi » dans un contexte électoral. Ou s’agirait-il d’une « guerre des ordres juridictionnels », comme il y a une « guerre des polices » ?

Une jurisprudence dangereuse

 

Ce faisant, notre Cour d’appel émet une jurisprudence dangereuse.

Pour prendre un exemple d’actualité : supposons que M. Fillon soit condamné dans l’affaire du « Pénélopegate ». Eh bien, aux yeux de notre Cour d’Appel, alors un candidat concurrent n’aura pas le droit d’écrire « de bonne foi » que M. Fillon détourne de l’argent public. 

Par ailleurs, la Cour d’appel estime (p. 14, der er §) que le rapport de la Chambre des comptes « ne contient aucune remarque permettant de suggérer que les indemnités de licenciement indument versées [par le président de la Sadev au directeur général ] l’ont été grâce au système de surfacturation mis en place. » Évidemment ! La Sadev dispose d’autres moyens pour financer des indemnités indues, et d’autres dépenses auxquelles attribuer ses surfacturations ! Comptablement, cette remarque n’a aucun sens.

Pour en revenir à l’actualité : quand M. Bourlanges, personnalité centriste respectée, traite M. Fillon de « corrompu », il ne vise pas le Penelopegate, mais le fait que, tandis que AXA paie royalement la boite de conseil de M. Fillon François, M. François Fillon propose en tant que candidat à la présidence de la République la privatisation de la sécurité sociale que lui demande Axa. François Fillon serait fondé à porter plainte pour diffamation contre M. Bourlanges, et, selon notre Cour d’appel, M. Bourlanges manquerait de base factuelle, car il ne pourrait prouver que la prise de position en faveur de la privatisation de la Sécu a été monnayée contre le juteux contrat de conseil.

Nous en revenons aux leçons de l’ex-juge d’instruction du Pôle financier Eva Joly : comme on ne peut que très difficilement mettre en rapport deux délits dont l’un serait la contrepartie de l’autre (ce qui est la définition de la corruption), il faut combattre séparément le favoritisme et l’abus de biens sociaux, sans chercher à démontrer la corruption. 

Il en est de même pour l’organisation « systématique » du détournement de fonds publics dénoncés par les Villejuifois qui refusaient la fusion de notre liste avec celle du PCF : on voit l’argent partir des caisses de Villejuif, on voit des cadeaux aux amis et à L’Huma, mais il est comptablement impossible de dire que tel euro parcourt tel circuit.

Mais du moins ni moi ni Natalie Gandais n’avons jamais traité une personne de « corrompue », ni d’aucun des péchés imputées aux municipalités sortantes. C’est un mode de gouvernance que nous avons dénoncé, à la suite de nos propres électeurs.

Conclusion mitigée

Nous n’oublions ni les victoires symboliques accordées par ce jugement en appel (non-publicité du jugement, PS débouté) ni de la réduction par un facteur 4 des pénalités financières, soulignée en souriant par la présidente de la Cour, lors du rendu oral du délibéré. 

Il reste que nous sommes condamnés, pour avoir exprimé, en tant que personnes politiques investies par une fraction de la souveraineté populaire (nos électeurs) de la mission de « représenter » ce qu’ils et elles pensent, à une somme qui sera dissuasive pour la plus grande partie des classes populaires villejuifoises. Ce qui constitue un défi aux principes démocratiques, fondements de la jurisprudence internationale actuelle en matière de liberté d’expression sur les questions d’intérêt public. 

Il reste aussi que la justification de cette condamnation, si elle devait faire jurisprudence, en écartant les bases factuelles les plus évidentes de la « bonne foi », y compris l’autorité de la chose jugée, au nom d’une critique ultra-pointilleuse, frisant parfois le sophisme, de nos arguments, rendrait impossible toute critique, dans le débat public démocratique, des pouvoirs en place ou ayant été en place.

Nous défendons vigoureusement la Justice française face aux accusations de F. Fillon ou de M. le Pen. Mais restons un peu sur l’impression que la Cour d’appel était partagée entre l’envie de nous donner pleinement raison et le souci de ne pas désavouer totalement la cour de première instance. 

Conscients de l’importance symbolique de ce procès, nous avions choisi pour défenseur Me Leclerc, très respecté président honoraire de la Ligue des Droits de l’Homme. Satisfait de la victoire symbolique de la liberté d’expression, il nous a fait observer que la question subsistante se réduisait finalement à son coût. Or, même s’il est probable que les jurisprudences des cours internationales telles que les arrêts « Mamère » ou « Canese » nous donneraient raison, les frais pour arriver jusqu’à la Cour de Strasbourg seraient bien plus élevés que les 17 800 euros auxquels nous sommes condamnés (Voir ici l’Odyssée judiciaire ayant permis à Noël Mamère et Antenne2 d’être enfin jugés par la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.)

Des dépenses que nous ne pouvons pas avancer, c’est pourquoi nous n’allons pas en cassation. C’est pourquoi nous payerons les dommages et frais obtenus d’une part par Mme Cordillot et autres communistes, d’autre part par Mme Charbonneau et autres socialistes.

Nous payerons le prix de liberté d’expression, dans l’intérêt de nos concitoyens, pour défendre la probité publique, sans égard pour les étiquettes politiques des uns ou des autres. Comme nous l’avons déjà montré en n’hésitant pas, malgré le chantage sur les mandats et des indemnités que nous allions perdre, à signaler à la Procureure de la République nos soupçons de favoritisme de la part de la nouvelle équipe municipale. 

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